Ci-après un extrait de la très jolie Trilogie de Matsuyama Kaze, de Dale FURUTANI (10/18, collection Grands détectives) où l'on apprend le secret des secrets de la bouche du maître qui a formé ce Samouraï émérite :
Le Maître (Sensei) : « As-tu entendu dire qu’un maître garde un secret, un secret important qu’il ne transmet pas à ses élèves ?
Matsuyama Kaze : « Oui Sensei, je l’ai ouï dire.
- Penses-tu que ce soit vrai ?
Kaze réfléchit un instant :
- -Je suppose que oui, sinon, comment un maître pourrait-il rester supérieur à son disciple ?
Le Sensei soupira :
- Quelle est selon toi la joie suprême, pour un vrai maître ?
Kaze hocha la tête d’un air dubitatif :
- Je ne sais pas, Sensei.
- La joie suprême pour un vrai maître, c’est d’avoir un élève qui le surpasse. Donc, un véritable maître ne cachera pas un secret important à son disciple. Quel serait l’effet d’une telle attitude, crois-tu ? Si, à chaque génération de disciples, le maître gardait un secret capital qui n’était pas transmis ?
- Eh bien, avec le temps, je suppose, l’école du maniement du sabre s’affaiblirait de plus e plus, puisque chaque génération de disciples en saurait de moins en moins sur l’essence véritable de l’art du sabre.
- Bon, maintenant je crois qu’il est temps pour moi de te confier l’ultime secret de l’art du sabre et, en vérité, de l’art de la vie.
- Et quel est-il, Sensei? interrogea Kaze avec enthousiasme.
- Le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret !
- Kaze eut l’air de ne pas comprendre.
- L’ultime secret, reprit le Sensei, c’est qu’une fois qu’on a appris toutes les techniques, il reste autre chose qui peut faire la différence. Cette chose que le disciple a en lui et qui lui permettra d’exceller et de dépasser son maître.
- Et quelle est-elle, Sensei?
Le maître sourit – une des rares fois où Kaze l’avait vu sourire.
- Voilà le secret qui n’en est pas un : je ne sais pas ce que c’est ! C’est une qualité en toi qui peut te permettre de me surpasser d’une manière ou d’une autre, à un niveau ou à un autre. Il y a maintenant plusieurs années que tu es avec moi et, malgré ta stupidité et ta lenteur, tu as appris les techniques de mon école du sabre. De fait, tu en es actuellement à un point où tu es proche de l’état de novice.
- Pourquoi me comparez-vous à un novice ? demande -t-il un peu vexé.
- Parce que celui qui est presque un novice est proche de la perfection dans le maniement du sabre.
- Qu’entendez-vous par là ?
- Quand tu n’avais aucune connaissance du sabre et que tu l’as pris en main, tu ne le tenais peut-être même pas comme il fallait. Mais si quelqu’un t’avait attaqué, tu aurais d’instinct paré ses coups et tenté de te défendre. Tu l’aurais fait sans rien connaître à la technique et sans avoir été initié aux secrets du combat. Et en cela, tu aurais manié le sabre à la manière zen.
« Le zen enseigne qu’il ne doit pas y avoir de distance entre la pensée et l’action. Une telle distance n’est pas souhaitable, même si elle est aussi ténue que l’épaisseur d’un cheveu. C’est pareil pour le silex et l’acier : lorsque le silex frappe l’acier, il n’y a aucune hésitation avant que l’étincelle jaillisse. Et cela vaut aussi pour le maniement du sabre : quand on est un parfait novice, on se sert de l’arme instinctivement, sans pensée ni hésitation de la manière de faire.
« Quand on entame l’apprentissage de la technique du sabre, on commence l’entraînement. On est d’abord très maladroit, on a du mal à enchaîner les combinaisons de mouvements de façon à pouvoir à la fois se défendre et attaquer l’adversaire. Mais à mesure qu’on développe l’adresse, on acquiert une confiance croissante dans ses moyens, on n’a plus besoin de réfléchir à chacun de ses mouvements et l’on est donc capable de les exécuter tour à tour, en douceur et comme il faut.
« Et puis on atteint un point où l’on n’a plus du tout besoin de penser à la technique. On est simplement habité par un sens du zen tel que l’on est d’instinct en alerte à chaque instant, dans cet état d’esprit qu’on appelle zanshin. Quand on est attaqué, on pare le coup pour se défendre, puis on attaque l’adversaire sans avoir à s’interroger sur la technique à utiliser et sans hésiter entre chaque mouvement.
« Autrement dit, quand on est parvenu à la maîtrise du sabre, on le manie d’une façon très proche de celle du novice absolu qui se fonde sur l’instinct et non sur la pensée consciente d’un geste à accomplir avec le sabre, suivi d’un autre. C’est pourquoi lorsque je te dis que tu es proche d’un novice dans le maniement du sabre, c’est en fait un grand compliment. Cela signifie que tu as bouclé la boucle : de garçon très inexpérimenté, tu es devenu un homme dont la maîtrise du sabre peut rivaliser avec la mienne.
- Mais, Sensei, comment puis-je franchir cette dernière étape ? Mobiliser ce quelque chose en moi pour parfaire mes compétences ?
- Peut-être ne pourras-tu pas franchir cette dernière étape. La plupart des gens arrivent au terme de leur existence sans avoir compris ce qui est en eux – ce noyau, cette essence, qui fait qu’ils sont eux-mêmes. Certains parviennent à cette connaissance sur le tard, quand leurs années d’étude et de méditation produisent leurs fruits. Toi, la première fois que je t’ai vu, tu avais quelque chose qui m’a laissé entrevoir que tu possèdes un noyau doué de grandes possibilités.
- Pourtant, Sensei, vous passez votre temps à me critiquer !
- Oui, c’est vrai. Et ces critiques sont toujours justes. Mais ça ne signifie pas pour autant que cette noble qualité n’est plus en toi. Cela veut simplement dire que je n’attends rien de moins de toi que la perfection. Et quand tu ne parviens pas à la perfection, je te critique. »
La trilogie du Matsuyama Kaze, Dale FURUTANI,
10/18 – collection grands détectives - pages 404 à 407