Pendant que nous qui restons continuons de pratiquer l'aïkido à marche forcée tout l'été, ce qui nous préserve de bien des avanies, d'autres s'adonnent aux vacances... Oui. L’été —c’est de notoriété publique—- est la période de vacance par excellence. Mais qu’est-ce que la vacance ? La vacance est une variante de l’oisiveté qui, on le sait, est mère de tous les vices.
Ce serait le travail supposé accompli le reste de l’année qui parerait la vacance de toutes les vertus. Je dis « travail supposé » car personne jamais ne pense à vérifier… On attribue ce curieux renversement de valeur au fait que cette oisiveté-là est limitée par le temps qui lui est consacré. Que l’on me permette de rire à la supercherie. Car cette limite imposée par le temps est tout au contraire le facteur déclenchant d’une impétuosité débridée et d’une frénésie sans pareille.
Il suffit pour nous en convaincre de faire un petit tour d’horizon des options choisies par nos amis de tatami : qui me démentira ?
- Telle qui, suivant le sillage de Bougainville, se fraie un chemin maritime à l’autre bout du monde, sans craindre les pirates qui écument les mers autour des îles de la Sonde ?
- Tel autre qui va chercher avec le charme de Séville l’Andalouse un repos amplement mérité… sous 38° à l’ombre, ou cet autre qui tente l’ascension de Murcie qui culmine à 43 m et brave pieds nus sa plage au sable brûlant ?
- Tel autre qui, au fond de son antre peuplé d’araignées, taille la pierre à la recherche de la Toison d’or en se tapant sur les doigts ?
- Celui-là encore qui cabote à travers la Mer du Nord au large de Ramesgate sur un gréement mouillant habituellement au port de Dunkerque et qui projette tantôt un pélerinage à l’île de Wight et en Cornouailles aux marches d’un pays en plein Brexit?
- Me contredira-t-il celui d’entre nous qui, ayant troqué le keikogi pour la petite reine, avec ses 200 congénères de la Transcontinental race, tentent de relier à vélo et en totale autonomie Grammont en Belgique et Istanbul, soit 4 000 kilomètres et cela au lendemain d’un étrange coup d’état sévèrement réprimé ? [1]
- Dois-je évoquer tous ceux qui, malins comme des singes, sont partis au diable vauvert à notre insu et restent cachés pour vivre mieux cette période de turpitudes ! Ceux-là non plus ne pourront me dédire sans révéler au monde entier leurs errements jusqu’ici bien gardés !
- Et je ne vous parlerai pas de celui-ci, taillé comme un roseau, qui se vante sur les réseaux sociaux de se gaver de mouilles en déclarant fièrement : « Oggi, martedi : Linguine alla Carbonara (con cipolle)[2]»
Tout cela est-il bien raisonnable ?
Enfin, on en voit qui profitent de ce moment d’abandon pour laisser pousser leur barbe. Des gens très comme il faut, comme vous et moi. Mieux même : introduits dans la société parmi les plus hautes sphères (c’est dire assez qu’ils sont bien sous tous rapports, honorables en tous points !)… On me dit que la barbe est à la mode. Soit. Qu’elle se porte désormais en ville comme à la campagne en tablier de sapeur, touffue et longue de préférence. Il paraît que cela fait gagner du temps le matin et provoque des émois esthétiques - et plus si affinités- à ceux qui bénéficient du coup d’œil. Mais alors je vous le demande : où cela nous conduira-t-il ? Les séances de tatami en sortiront-elles grandies ?
Toutefois, renseignements pris, il semble que la barbe n’était qu’occasionnelle, que c’était pour la « bonne cause ». Que faut-il entendre par là ? Notre ami, habituellement doux comme un agneau, qui fréquente assidûment le tatami par la pratique d’un art pacifique, l’aïkido, cultivant avec opiniâtreté martialité et bienveillance, profite de la saison estivale pour… f... des peignées à ses congénères à grands coups de glaive en caoutchouc en costume façon Trône de fer…
On le sait depuis Shakespeare et son Songe d’une nuit d’été : c'est la saison des maléfices et mon propos montre que nous autres à l’aïkido n’échappons pas toujours à ces sortilèges. Il illustre bien comme le sieur Carnaval, roi des fous, de l’inversion des situations sociales et des sexes, est en passe d’être détrôné par l’été de tous les dangers. C’est pourquoi nous nous hâtons de décliner toute responsabilité en ce qui concerne les errements méticuleusement répertoriés dans cette chronique pour l’édification du public et, afin de nous absoudre tout à fait, nous précisons que toute ressemblance avec des personnes réellement existantes ou ayant existé serait purement fortuite.
[1] À l’heure où j’écris ces lignes (4 août), il aurait parcouru 1 500 km depuis le 30 juillet. Il lui en reste donc près de 2 500. (suivez sa trace ici : http://www.frrt.org/tcrno4/r/52-alain si le cœur vous en dit, moi ça m’épuise…).
[2] Traduction : Aujourd'hui, mardi : Linguines à la carbonara (avec oignons)