L’image de l’Aïkido est victime d’un étrange paradoxe : autant son image réelle et exacte d’art martial visant l’harmonie peine à simplement être connue du public ; autant certains acteurs de la société civile n’hésitent pas à en convoquer l’image pour la publicité de leurs produits ou pour leurs activités en en déformant les principes sous une forme allusive.
C’est ainsi qu’on peut voir la Caisse d’Epargne proposer un compte « Aïkido » « pour les épargnants retraités ou presque, pour ceux ou celles qui aiment le risque mais pas le risque inconsidéré ». Ce compte est censé assurer tout le confort et la souplesse face aux aléas de nos modestes existences qui, soit dit en passant, méticuleusement additionnées, se chiffrent tout de même en milliards d’euros… Nous qui pensions, sans doute à tort, que l’Aïkido était méconnu et pas très vendeur, nous étions déjà surpris de voir ce concept utilisé comme nom d’accroche pour vendre un compte aux écureuils frileux…
On sait aussi, dans la veine managériale de la communication non-violente comme la référence à l’Aïkido fait florès au plus grand bénéfice de dirigeants dont les intentions ne sont pas toujours au service de ce que l’on croit et qui ne se font pas faute d’utiliser cette belle idée qu’est l’Aïkido à titre rigoureusement manipulatoire. Mais bah ! Si cela peut donner bonne conscience et permettre de continuer sans trop de dommages ses petites affaires dans le monde capitalistique, pourquoi pas ?
Sans entrer dans le détail de l’intrigue et divulgâcher le plaisir du téléspectateur, voici ce que l’on peut dire : Le Professeur est le patron d’une équipe de braqueurs qui s’apprêtent à piller la réserve d’or de la Banque centrale d’Espagne en représailles à l’arrestation d’un des leurs, Rio. Il a recours à la métaphore de l’Aïkido pour expliquer la logistique du braquage envisagé : au cours de l’action, l’équipe ne pourra pas assumer seule toute cette logistique et la manœuvre consistera donc à utiliser l’armée et la police régulières et leurs réflexes comportementaux (disperser la foule, etc.) pour accomplir ce que les braqueurs ne pourront pas faire seuls. C’est à la fois tordu et lumineux, ce que résume très bien Denver, l’un des braqueurs, qui, saisissant tout à coup l’astuce, crie haut et fort un « Aïkido ! » réjoui comme un « Euréka ! ».
Sauf que pour qui pratique l’Aïkido cette métaphore ne tient pas. Si Tori est amené à induire certains comportements à Uke à l’occasion de certaines techniques c’est exclusivement à la suite de l’attaque dudit Uke. Or, dans La Casa de papel, ce sont justement les braqueurs qui attaquent les premiers et qui sont donc Uke.
Certes, on peut discuter ce point :
- On sait que ces situations sont réversibles et qu’au cours d’une même technique et sous certaines conditions, Uke peut devenir Tori et vice-versa. Admettons et notons que cela doit bien arranger les scénaristes.
- On pourrait aussi rappeler que Le Professeur estime que ce sont les braqueurs qui ont été agressés par l’Etat espagnol en retenant prisonnier Rio, l’un des leurs. C’est passer sous silence un peu vite l’extraordinaire braquage de la « Maison du Papier » qui fabriquait les devises de la même Espagne lors des saisons 1 et 2…
- Enfin, côté positif de l’Aïkido, si l’on en croit la série : l’aïkido est ruse, intelligence, compréhension de la situation, habileté à se positionner dans une situation de conflit en y étant préparé… je l’admets : il y a un peu de tout cela dans l’aïkido mais peut-on le réduire à cela ? On voit bien que le scénariste a pris de l’Aïkido ce qui lui était utile en en détournant l’intention.
Et puis, au fond, ce n’est pas là ce qui m’intrigue le plus, c’est cette image déformée de l’Aïkido qui est censée parler à l’esprit du public alors même que l’aïkido est massivement méconnu de lui. C’est une référence commode ―-commode parce que justement elle n’est pas bien connue ― qui donne à voir sous une forme allusive un « Aïkido » manipulatoire par principe qui permet de prendre le moins de risque possible et dans lequel l’autre est et reste l’ennemi, un ennemi qu’il faut circonscrire sinon abattre pour mieux utiliser son potentiel contre lui et anéantir la menace qu’il constitue pour soi.
Il est donc triste de constater que l’on est loin de la recherche d’harmonie prônée par Ueshiba Morihei. Loin de tout ce qui fonde notre pratique. Ce qui nous incite à redoubler d’efforts pour apporter à la connaissance du public la vraie définition de l’Aïkido et, dans le meilleur des cas, l’inciter à venir l’essayer !
Rendez-vous donc en septembre !
Dominique Aliquot