"Martialité : subst. fém. Apparence martiale, caractère martial.
Martial : Relatif à la guerre.Se dit d'une attitude résolue, décidée, qui cherche à en imposer."
Définitions extraites du dictionnaire Larousse édition française 2009.
Aïkido et martialité constituent un paradoxe qui fournit à la discussion un sujet complexe et dont le débat, loin de s’épuiser, nourrit constamment la réflexion de tous les aïkidokas même les plus avancés. Il est vrai que le néophyte peine à situer l’Aïkido comme art martial et à comprendre son absence de compétition qui le met à l’écart des sports de combat à la famille desquels on l’assimile d’ailleurs malgré tout abusivement en Occident.
Certes, les ensembles techniques proposés dans sa pratique sont issus d’une culture guerrière commune aux arts martiaux japonais et élaborée pendant plusieurs siècles dans les écoles de formation des samouraïs où l’efficacité seule pouvait garantir la survie au combat.
Et l’Aïkido, art martial de création récente (il date de la fin de la seconde guerre mondiale dans le contexte particulier de l’après-guerre au Japon) à la fois est l'héritier de cette tradition et rompt avec elle en prônant d’autres valeurs philosophiques, notamment celles inspirées par le pacifisme. Au premier regard, ces valeurs vont donc à l’encontre de cette idéologie guerrière. En effet, ce qui fonde la quête de la pratique de l’Aïkido n’est pas la destruction de l’adversaire, son anéantissement, mais la recherche d’un dialogue avec lui qui conduise à la paix. C’est le «Ai », qui, symbolisant l’harmonie, rappelle au pratiquant que son objectif premier et ultime réside dans sa volonté d’établir une relation entre les individus, d’y apporter la paix, le partage et l’amour.
Mais alors, si les valeurs guerrières sont abandonnées au profit de la recherche de l’harmonie entre individus, comment la question de la martialité en aïkido se pose-t-elle ? La persistance et la culture de ces racines martiales dans la pratique restent-elles d’actualité ? Est-il possible, sans dénaturer le caractère de la discipline, de chercher encore à s’imposer à l’autre alors même que nous insistons sur des valeurs pacifistes ?
En outre, d’autres aspects de l’Aïkido peuvent laisser interdit le non-initié. Pour n’en citer que deux, qui sont souvent évoqués : la comparaison de la démarche de l’aïkido avec d’autres disciplines martiales — qui prônent notamment la compétition ou le combat parfois violent (donc l’idée de « victoire sur l’autre ») — et l’apparence très esthétique, voire hiératique, des déplacements en aïkido — qui peut masquer au regard du non-initié l’efficacité de ses techniques. Tout cela ne contribue pas à rendre évident ni lisible le caractère martial de l’Aïkido.
Il apparaît donc crucial d‘être au clair sur la forme particulière de martialité qui marque la pratique de l’Aïkido et de l’approfondir avec les apprenants pour ne pas s’éloigner de la voie « Do ».
Dans ce but, nous proposons une discipline d’éducation globale où nous pourrons développer, stigmatiser cette attitude martiale à travers des principes intelligibles et de cette façon assimilables par le pratiquant. La perception par lui des composantes de la martialité sera acquise progressivement et pourra ainsi conduire par imprégnation plus ou moins rapide à une prise de conscience de sa réalité. Nous proposons donc les axes de travail suivants :
- des thématiques de posture : verticalité et centrage, de distance avec un travail spécifique sur la vision, le regard et les possibilités d’atémis,
- des techniques développant l’efficacité et l’économie du mouvement,
- sans oublier bien sûr le respect de l’intégrité des personnes dans l’exécution technique.
Progressivement, l’appropriation de ces notions et leur mise en place dans la rigueur et l’exigence d’excellence qu’impose la pratique d’un art doivent permettre d’élever la pratique à un niveau supérieur dans lequel ces attitudes, devenues des acquis, constitueront comme une seconde nature chez le pratiquant et s’exprimeront de manière inconsciente.
Les préceptes de « shisei » (l’attitude), « musubi » (la relation dans l’échange), « zanshin » (la vigilance) s'incarneront alors pour l’étudiant.
Leur assimilation progressive donnera toute sa valeur à l’engagement à la fois intellectuel et physique au cours de l’entraînement et même au-delà, en inspirant le comportement du pratiquant jusque dans la vie quotidienne. Il appartient à chacun de mesurer la limite de cet engagement dans le cadre du dojo, où, à chaque exécution technique, il faudrait s’investir totalement dans l’instant et remettre en jeu, par cette prise de risque mesurée, la capacité recherchée par Tori de s’imposer à Uke en toute virtualité.
La martialité signifie aussi la sincérité et le cœur « kokoro » dans l’engagement et la capacité à faire le vide pour éliminer toute velléité d’agressivité incontrôlée ou de sentiments parasites qui nuiraient à un réel échange entre partenaires.
La maîtrise de soi, qui découle de cet apprentissage, qui ne doit pas s’assimiler à l’absence de peur mais plutôt à la capacité de gérer cette dernière, sera alors en mesure de régir le corps.
À partir de ce travail, et au fil du temps, le pratiquant sera mis en mesure de proposer une attitude corporelle offrant une autre vision de sa personne et de développer un charisme, une façon d’être propice à éviter le conflit en le gérant de manière anticipée au besoin.
Sur le tatami, cette attitude, cette posture martiale, se concrétise par la mise en mouvement du partenaire, non plus de manière agressive ou violente, mais en lui opposant une sensation de présence rendant inexploitable certaines options techniques, fermant le champ des agressions possibles, et, par la même occasion, ne laissant que peu de portes ouvertes à la surprise ou l’improvisation.
La culture de la martialité ainsi comprise apparaît indispensable dans la pratique pour conserver le lien entre partenaires, pour ne pas dénaturer la discipline et se perdre sur la voie.
Si son instruction reste difficile dans son dosage et sa lisibilité, la pratique martiale doit rester avant tout source de plaisir au sein d’une relation construite et ne saurait revêtir l’apparence de la sanction ou de la douleur.
Enfin, il faut souligner le caractère évolutif de cet art martial où les individualités qui le pratiquent continuent de le construire et de le faire vivre. Sa mise en œuvre de tout cœur à chaque foulée sur le tatami contribue à conserver une certaine pureté d’âme et à nourrir ainsi l’espoir de se rapprocher d’une perfection éphémère du geste. Aussi conservons-nous l’humilité essentielle qui permet d’accepter toutes les remises en cause propices à la réflexion et ainsi de grandir dans notre art.
Réflexion issue du Dossier de demande de diplôme B.E.E.S 1er degré spécifique Aïkido en VAE - François PENIN- Juin2010